1 . EXPANSION et STRATEGIE.
Bien que les voies romaines ne soient
pas le sujet que je désire traiter (pour maîtriser un sujet,
il faut savoir se limiter !), il est difficile de faire un exposé
sur les bornes milliaires sans parler des voies auxquelles elles
se rapportent.
Lyon
Les Romains ont
fait preuve de méthodologie et de technique dans tous les domaines;
il en fut ainsi pour les voies de communication. Bien entendu,
ils ont d'abord équipé leur pays d'origine; la ville de Rome
communiquait avec le reste du monde méditerranéen par un réseau
en étoile de 29 routes principales (d'où le fameux dicton: tous
les chemins mènent à Rome). Les Romains ont équipé rapidement
toutes les contrées qu'ils ont envahi, ceci dans des objectifs
stratégiques qui firent leur supériorité pendant un millénaire
: - ils devaient pouvoir se déplacer rapidement -toutes
proportions gardées, à pied ou à cheval- au sein d'un empire
d'une étendue inégalée: déplacement des armées, approvisionnement,
commerce. Sans ce réseau efficace et durable, ils n'auraient
pas pu se maintenir sur toutes les contrées conquises. -
ces travaux considérables utiles à tous montraient leur supériorité
technique aux peuples envahis, qui pouvaient bénéficier
de grands progrès dont ils n'étaient pas capables par eux-mêmes,
amenant une "colonisation en douceur" efficace et
durable; on parle de la "romanisation" des Gaules,
et il n'y a pas eu de guerre véritable.
- les technologies utilisées, aussi bien dans
la topographie que dans la réalisation matérielle, ont rendu
ces voies praticables en permanence -y compris les cols des
Alpes-, ce qui évitait l'isolement des contrées. Les
routes principales ont d'abord relié les établissements
importants pour la conquête (via publica, via militaris): camps militaires, passages difficiles
par ponts et tunnels, zones de ressources naturelles (carrières,
mines de fer et de plomb, bois et cultures). La stratégie
est omniprésente. Le réseau s'est ensuite étoffé, avec des
voies secondaires (via vicinalis), et des voies privées (via
privata).
Il faut cependant
souligner que les Romains n'étaient pas les premiers occupants
des Gaules; des peuplades régionales celtes et gauloises existaient
depuis longtemps sur ces territoires, qui ne constituaient pas
une véritable nation. Des voies de communication existaient
donc, mais de façon embryonnaire et très disparate, chaque peuplade
locale vivant souvent en autarcie, donc sans besoin réel de
déplacement sur de longues distances. Leur maintenance était
souvent négligée, et elles n'étaient pas praticables en permanence.
Par le biais
de leur expansion et des travaux réalisés, ce sont les Romains
qui ont en fait réalisé l'unité de la plupart des pays
du bassin méditerranéen. Les peuplades locales qui s'ignoraient
ont commencé à se déplacer -c'était beaucoup plus facile- et
ont appris à connaître leur continent.
Alba
Performances
de déplacements notées dans des écrits de l'époque : - CESAR,
avec une escorte: de ROME à ARLES en 8 jours. -
CESAR, avec son armée : de ROME en Espagne en 27
jours. - un courrier à cheval: 70 km / jour (avec 3
ou 4 changements de cheval).
Principales
voies de ROME :
Via
APPIA
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de Rome vers Capoue, puis
vers le sud: Brindisi.
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Via
ALBANA
|
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Via
AEMILIA
|
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Via
ARDEATINA
|
vers le sud de Rome
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Via
ASINARIA
|
|
Via
AURELIA
|
de Rome vers le Nord-ouest,
vers les Gaules : Arles.
|
Via
CAMPANA
|
|
Via
CASSIA
|
vers le nord de Rome: Orvietto,
Florence.
|
Via
CLAUDIA
|
vers le nord
de l'Italie
|
Via
FLAMINIA
|
au nord de Rome vers la Côte
Adriatique (Rimini)
|
Via
LABICANA
|
vers l' est de Rome.
|
Via
LATINA
|
de Rome à Capoue, par
le Latium.
|
Via
LAURENTINA
|
de Rome, vers le sud.
|
Via
POSTUMA
|
Italie du Nord
|
Via
PRENESTINA
|
vers l' est de Rome.
|
Via
SALARDA
|
vers le nord de Rome.
|
Via
TIBURTINA
|
au nord-ouest de ROME
( vers TIBUR = Tivoli )
|
Via
TRIUMPHALIS
|
vers le Nord, rejoint la
Via CLAUDIA.
|
Via
OSTIENSIS Via PORTUENSIS
|
de Rome vers le port d' Ostie.
|
Alba
Principales
voies des GAULES :
Plusieurs dizaines
de milliers de kilomètres ont été réalisés dans les différentes
contrées envahies (environ 15 000 kilomètres de voies principales
en France). Il faut à ce point évoquer le territoire
occupé par la civilisation romaine à son apogée: c'est l'ensemble
du pourtour Méditerranéen, depuis l'Espagne jusqu'au Maroc actuel,
avec, bien sur, toutes les iles de Méditerranée: Espagne et
Portugal, France, Italie, ex-Yougoslavie, Grèce, Turquie, Proche-Orient,
Egypte, et toute l'Afrique du Nord. Au nord, les frontières
étaient moins déterminées et fluctuantes: Angleterre, Belgique
et Pays-Bas, Allemagne de l'ouest et du sud, et tout l'arc Alpin.
(nos Romains n'étaient pas très "nordiques").
Les territoires
romains intéressant la France actuelle étaient, très schématiquement : -
la Gaule Narbonnaise -Narbonensis SPQR- (depuis Genève,
la vallée du Rhône au sud de Lyon, les Alpes, la Provence, le
Languedoc et le Roussillon). - la Gaule Aquitaine -Aquitania
Caesari- (tout le Sud-ouest et le Centre de la France, depuis
les Pyrénées, jusqu'à la Loire. - la Gaule Lyonnaise -Lugdunensis
Caesari- (l'ouest et le nord de la Loire, incluant Lutèce
et la Bretagne, la frontière Nord étant au nord de la Seine,
la frontière Est allant de Dieppe à Dijon; Lyon,
la capitale était pour le moins excentrée !). - la Gaule
Belgique -Belgica Caesari- (les départements du Nord
de la Seine, la Belgique, la Lorraine et l' Alsace). - la
Germanie inférieure -Germania Inferior Caesari- (les
Pays-Bas, l'est de la Belgique, et une partie ouest de l' Allemagne). -
la Germanie supérieure -Germania Superior- (Allemagne
du sud-ouest, Franche Comté, Suisse). - nota: L' Angleterre
s'appelait la Bretagne -Brittania Caesaris-.
Voies principales
répertoriées en France :
Via
JULIA AUGUSTA ( Via
AURELIA )
|
continuation de la Via AURELIA italienne,
par la côte méditerranéenne : Vintimille - La
Turbie - Nice (Cimiez)
- Antibes - Fréjus - Le Muy - Cabasse - Tourves
- Aix en Provence - Salon - St Rémy - Tarascon embranchement
à Aix vers : Marseille - Vitrolles - Fos -
Arles.
|
Via
DOMITIA
|
Mont Genèvre - Briançon - Embrun - Chorges
- Gap - Sisteron - Apt - Cavaillon
- Tarascon - Beaucaire - Nîmes - Béziers - Narbonne - Port
Vendres / Le Perthus - l'Espagne
|
Voie
AQUITAINE
|
Narbonne - Lézignan - Carcassonne -
Toulouse - Lectoure - Agen - Buzet - Cérons - Bordeaux embranchement
à Toulouse par: l'Isle-Jourdain - Auch - Eauze -
Sos - Bazas - Cérons
|
Via
AGRIPPA
|
Arles - Avignon - Orange - Montélimar -
Valence - Vienne - Lyon
( rive gauche du Rhône ) - Chalon sur Saône
- Autun
- Avallon - Auxerre - Sens - Meaux - Senlis - Beauvais
- Amiens - Boulogne sur Mer
|
Voie
SANTONNE
|
Lyon - Feurs - Clermont-Ferrand - Limoges
autre trajet : Lyon - Roanne - Vichy - Clermont-Ferrand
- Ahun - Limoges
|
Chemin
de CESAR
|
Lyon - Clermont-Ferrand - Saintes
|
Voie
des
HELVIENS
|
Vienne ( rive droite du Rhône )- Ampuis
- Andance - Arras - Tournon -Le Teil - Alba - Bourg
St Andéol - Bagnols - Remoulins - Nimes autre
voie : Le Teil - Alba - Aubenas - Le Puy - Uzès
- Nimes
|
Voies
du RHIN
|
Lyon - Anse - Mâcon - Tournus - Chalon
sur Saône - Citeaux - Langres - Dompierre - Toul
- Metz - Dalheim - Treves -Neumagen - Bingen - Mayence autre
trajet : Chalon sur Saône - Dole - Besançon - Montbéliard
- Mandeure - Kembs autre trajet : Lyon - Bourg
en Bresse - Coligny - Lons le Saunier - Besançon
-
|
Voies
des ALPES
|
1) Lyon - Bourgoin - Aoste - Yenne - Seyssel
- Genève - Nyon - Vevey - Martigny - Grand St Bernard
( + Genève - Annemasse - Massongex - Martigny
) 2) Vienne - Tourdan - Izeaux - Moirans - Grenoble
- Vizille - Briançon - Mont Genèvre 3) Vienne
- Bourgoin - Aoste - Moutiers - Aime - Bourg St
Maurice - Séez - Petit St Bernard 4) Valence
- Aouste - Saillans - Die - Luc en Diois - Veyne
- Gap - Chorges - Embrun - Briançon - Mont Genèvre 5)
Arles - St Rémy de Provence - Cavaillon - Apt -
Céreste - Sisteron - Gap - Chorges - Embrun - Briançon
|
Via
VENTIANA
|
Nice/Cimiez - Vence - Courségoule - Gréolières
- Andon - Le Logis du Pin - Castellane
|
Voie
BOLENE
|
Lyon - Feurs - Saint-Paulien - Javols - Rodez
- Cahors - Agen - Bordeaux
|
Grands
carrefours (nombreuses voies)
|
Arles - Tarascon - Nimes - Narbonne - Vienne
- Lyon - Feurs - Clermont Ferrand - Ahun - Javols
- Rodez - Toulouse - Lescar - Dax - Cahors - Périgueux
- Limoges - Saintes - Poitiers - Tours - Bourges
- Angers - Nantes - Vannes - Rennes - Carhaix -
Le Mans - Avranches -Orléans - Rouen - Beauvais
- Dieppe - Amiens - Senlis - Reims - Bavay - Metz
- Trèves -
|
Vienne
2 . TECHNOLOGIE.
Les Romains ont montré tout
leur savoir-faire en ce domaine:
- utilisation des voies
naturelles de communication (vallées, cluses), mais en évitant
les causes de coupure par inondations (passage en surélévation) ou
par intempéries (utilisation du versant sud). - évitement
des zones marécageuses, ou comportant des sols friables et peu
stables (éventuellement, réalisation de routes "en dur"
sur pilotis et poutres en bois). - tracé en ligne droite partout où cela était possible
(quitte à "avaler" des pentes importantes). - réalisation
de tunnels et de ponts, uniquement pour éviter des détours trop
importants, ou pour desservir des centres stratégiques ou de
ressources. (réalisation, également, de nombreux gués, mais
qui n'étaient pas toujours praticables)
Pont d'AMBRUSSUM
La réalisation
des routes elles-mêmes a toujours été très soignée, de façon
à ce que ces routes soient durables et utilisables en permanence.
La route comportait un soubassement important (1 m. au
minimum), en partant
du dessous:
- une couche de drainage
et de stabilisation,
faite de gros blocs de pierre, installée après décapage des
sols meubles superficiels. - une (ou plusieurs) couche(s)
de matériau meuble (sable, gravier, cailloux concassés, en alternance). -
un revêtement, fait en général de gravier, ou de gravier enrobé
de béton, ou de dalles épaisses (ces derniers cas surtout dans
les traversées d'agglomérations). Des
fossés latéraux étaient souvent réalisés, permettant l'écoulement
de l'eau issue de la route dont le revêtement était en général
bombé, ou pour éviter l'envahissement de la route par l'eau
des terrains alentour. La route classique avait
une largeur utilisable de 4,5 à 7 m. (pour permettre
le croisement de 2 voitures), mais son emprise au sol pouvait
atteindre 7 à 10 m., avec des fossés et des murs de soutènement.
Les Romains
ont, les premiers, aménagé des chemins sur le passage des cols
des Alpes, praticables en -presque- toutes saisons: Petit St
Bernard, Mont Cenis, Mont Genèvre.
Les portions
de route que l'on peut observer de nos jours sont souvent caractérisées
par plusieurs faits: - les routes modernes, développées à
partir du 19° siècle, et surtout au 20° siècle (l'automobile)
ont souvent utilisé le tracé des anciennes voies romaines -surtout
sur les parcours difficiles-, mais avec une emprise au sol beaucoup
plus importante, d'où un effacement des voies romaines à 80
%. - on retrouve des voies romaines : sur des terrains presque
plats sans difficultés (parce que dans ce cas, le tracé importe
peu), sur des pentes importantes (parce que nos engins modernes
s'en accomodent assez mal), ou lorsque les moyens modernes ont
permis de s'affranchir des pentes naturelles (tunnels importants,
ponts et viaducs); dans ce cas, le tracé des voies romaines a
été abandonné, et les voies sont conservées. - bien entendu, on retrouve peu de voies romaines
dans les zones urbanisées depuis longtemps, ou alors en fouilles
souterraines, lorsque le terrain a subi un comblement (naturel
ou artificiel). - par contre, il faut noter que les agglomérations
importantes du temps de la civilisation romaine en Gaule ne
sont pas nécessairement des centres importants de nos jours
(les nécessités n'étaient pas les mêmes);
certaines n'ont pas survécu au départ des Romains ou aux invasions
qui suivirent, ce qui nous
vaut de belles découvertes dans des contrées insoupçonnées.
3 . UTILISATION.
Les routes de l'époque servaient au passage des
piétons, des animaux, et des chars à traction animale (boeufs
ou chevaux). Il est à noter que les Romains étaient d'excellents
constructeurs, mais manquaient d' inventivité dans le domaine
des chars. Ils ont surtout utilisé des chars à un seul essieu
(2 roues); pour des charges plus importantes, des chars à 2
essieux étaient utilisés, mais ces essieux étaient fixes (pas
de guidage; c'est une opinion personnelle, les diverses reconstitutions
proposées offrant un frottement bois sur bois ne pourraient pas
tenir plus de 50 km.). De ce fait, certains archéologues ont pensé que
les ornières que l'on peut constater sur des portions de voies
bien conservées n'étaient pas nécessairement dues à l'usure,
mais avaient été volontairement créées pour servir au guidage
des roues (il semble que ce fait soit plus avéré dans
certaines carrières antiques, où les charges étaient importantes,
et les pentes parfois sévères). AMBRUSSUM
A noter que l'écartement des ornières, sur voie classique,
est de 1,44 m. (soit 5 pieds) - j'ai personnellement mesuré
à AMBRUSSUM, suite à la remarque d'un "ancien" de
la SNCF (l'écartement des rails de chemin de fer en France est
de 1,435 m.) De plus, la plupart
des voitures n'avaient pas de freins dynamiques (uniquement
des dispositifs d'arrêt et de blocage) ; on n'a pas de statistiques
sur les accidents de circulation, mais il semble que sur les
pentes importantes, des bornes étaient disposées le long de
la route, permettant un ancrage d'assurance en descente, et
éventuellement un système de touage en montée.
Pour se diriger
sur ces routes, il y avait: - des poteaux indicateurs, sans
doute en bois. (c'est une hypothèse, aucun vestige) - des
bornes dites "milliaires", ou colonnes itinéraires, monolithes
indiquant les distances
et parfois la destination (c'est le sujet traité par ailleurs
sur ce site).
Ceci
n'est pas une pancarte romaine !
Il a existé
également des cartes sous plusieurs formes: - la table de
PEUTINGER ( ou Table Théodosienne ): il s'agit d'un document représentant la plupart
des itinéraires de l'empire romain, avec l'indication des cités,
des stations, et même des auberges, avec les distances entre
points remarquables (cités, carrefours, fleuves). C'est
un document (6,80 X 0,34 m.) dont l'origine est incertaine;
on en connait des copies faites au Moyen-Age (12° - 13° siècle),
parfois avec de nombreuses erreurs. (copies de copies de copies
...)
- l' Itinéraire d'ANTONIN : d'origine également incertaine,
il comporte 256 itinéraires qui ressemblent à des compte-rendus
de voyages. Mais ce guide est partiel, non méthodique, et comporte
également de nombreuses erreurs. - des carnets de voyage
de pélérinage des 3° et 4° siècles. (dont Bordeaux - Jérusalem) -
les gobelets de VICARELLO : 4 gobelets en forme de colonnes
comportent des listes de cités avec les distances qui les séparent.
Par la suite, à partir des 12° - 14° siècle, l'écriture
s'est développée -les moines copistes- et l'on a beaucoup de
documents relatant des voyages, des pélérinages, ce qui aide
à définir le réseau des voies romaines, qui n'avait sans doute
que peu bougé en mille ans.
Les haltes
:
- mutatio = relais,
environ tous les 10 km. - mansio = gîte d'étape,
entre 40 et 50 km. L'emplacement de ces haltes
devint souvent le site des agglomérations actuelles.
Quelques véhicules
utilisés par les Romains:
- cisium = voiture
légère à deux roues, attelée d'un seul cheval. - rheda (
ou raeda )
= voiture rapide à quatre roues. - carpentum = voiture
bâchée, à quatre roues. - petoritum = voiture
de voyage, suspendue, bâchée, tirée par quatre chevaux attelés de front. -
carruca = voiture, carrosse. - carrus = chariot
pour le transport des marchandises, avec un attelage de boeufs. -
lectica = litière, transportée par deux ou quatre esclaves.
(
Archéodrome de Beaune )
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